be/ bardaf
Dans le bardaf précédent,
je vous avais dit tout le bien que je pensais du premier album "ADN 115"
du groupe expérimental parisien Sister lodine. Je ne peux que réitérer
mes louanges pour l'album qui lui succède, en soulignant même la
progression du groupe entre les deux jalons de son histoire. Sister lodine reste
une unité de recherche de pointe qui ne se limite pas à faire
de l'espionnage industriel en direction des labos japonais ou américains
mais qui innove sur son propre terrain. Ceci n'empêche pas le groupe d'être
parfois mal compris - et de ne pas toujours chercher à dissiper les malentendus
-. Leur musique, souvent cataloguée de "difficile", de "froide"
ou d' "intellectuelle" me paraît surtout intelligente. Pourquoi
une musique pensée et sobre serait-elle moins chaude que celle où
un demi-taré crache ses tripes dans un micro?
A l'intérieur du boîtier très dépouillé de
"[pause]", le livret intérieur est illustré par une
photo d'aéroport et une photo issue du classique du cinéma expérimental
"Wavelength" (1966) de Michael Snow qui constitue une des oeuvres
les plus fascinantes sur les notions de temps et d'espace. Ce film structuraliste
se limite - 45 minutes durant - à un très lent zoom avant dans
une pièce vers une photo accrochée entre deux fenêtres.
La bande-son est constituée par un son synthétique devenant de
plus en plus aigu au fur et à mesure que I'on se rapproche du mur. On
a souvent fait au film du cinéaste canadien - ou même à
l'ensemble de son cinéma - le même reproche qu'à Sister
lodine: intellectualisme, obscurantisme, élitisme, froideur... Je ne
peux, personnellement que m'insurger contre cette "dictature de l'effort
minimum". Malgré la rigidité et la force de son idée
directrice et de son dispositif - Snow prépare ses films sur papier très
méticuleusement avant de lancer la caméra - , ce film me parait
fascinant et laisser la voie ouverte aux expériences les plus intimes
de la part de chaque spectateur. De manière semblable, la musique de
Sister lodine catalyse le fonctionnement de l'esprit de l'auditeur.
Sans en être sûr, je peux imaginer Sister lodine agissant dans une
démarche proche de selle de Snow c'est-à-dire préparant
soigneusement leur disque sans précipitation dictée par des ultimatums
extérieurs au groupe. Barricadés dans leur studio de Montreuil
avec leurs guitares préparées, leurs bandes, leurs batteries,
leurs platines et... du temps. Le disque lui-même peut aussi être
présenté comme un travail sur le temps et l'espace. On en perçoit
mieux la force en le considérant comme album entier - un long travelling
de 45 minutes dans des ambiances contrastées - que comme succession de
morceaux - malgré la présence du "hit" chanté,
Mass exposure -. La grande majorité du disque est instrumentale, Erik
Minkkinen ne se faisant entendre que dans ce morceau et Truck loads. Ce qui
est très admirable dans ce disque, c'est que la richesse du son, le rhizome
de structures rythmiques et de matières sonores parfois enregistrées
très bas, sont maîtrisés avec une science du dosage et une
retenue assez peu communes. On ne tombe jamais dans les travers de l'accentuation
des effets ou du remplissage par facilité - du "faire compliqué
pour faire complexe" -. On l'aura compris, ce disque est un des tout grands
disques de ma discothèque imaginaire et j'attends sans impatience - qu'ils
continuent à prendre leur temps - l'opus IIl.
Philippe / chronique originellement parue dans bardaf#3 (1997)
fr/ harmonie
SISTER IODINE
pause
[CD Zeitgeist]
Apparemment formation plutôt classique de par les instruments utilisés
(guitares, batterie, claviers, violon, voix), on se rend très vite compte
que les deux musiciens de SISTER IODINE ne les manient pas comme tout le monde,
que leur musique est loin d'être conventionnelle. A tout cela s'ajoutent
de nombreux enregistrements concrets, divers bidouillages, le tout étant
souvent saturé lors de moments calmes ou plus enlevés. Plus difficile
d'accès mais plus abouti que le premier album "adn 115" où
déjà la fameuse structure standard couplet-refrain était
inexistante, ce disque nous fait découvrir un univers inconnu, complètement
personnel et introverti. On ne peut pas parler de noise-rock, d'indus, d'expérimental
ou autre no-wave et c'est cela qui fait la force de cette uvre cohérente
du début à la fin. Je ne sais pas si j'aurais réussi à
vous convaincre, mais ce disque, au design superbe, ne peut pas laisser indifférent
et vaut la peine qu'on lui prête attention.
[HV] - hiver 1996/97